Le Paradis des mauvais garçons (Josef von Sternberg et Nicholas Ray, 1952) 🇫🇷
Bienvenue à Macao, ce fascinant « Monte Carlo de l’Orient », où l’enfer du jeu se mue en paradis pour les mauvais garçons. Escrocs, fugitifs et contrebandiers y tirent le gros lot ou rentrent à sec, au gré des lancers de dés. Il faut se méfier des eaux qui dorment : ce havre « calme et accueillant » où barbotent gentiment des sampans cache aussi un autre visage, « secret et voilé » à l’intérieur des maisons de jeu, nous prévient le générique. Macao, en lettres rouges ombrées de jaune sur l’affiche a revêtu sa tenue de soirée, rivalisant d’éclat et d’élégance avec cette sirène de music-hall surgie de ses eaux troubles.
Car Macao regorge aussi de « mauvaises filles » qui s’acclimatent aussi bien à ses 80% d’humidité que sa végétation grimpant aux balcons des maisons coloniales. C’est ce genre de belle plante qui débarque du ferry de Hong Kong, une prénommée Julie, divinement interprétée par Jane Russell, en compagnie de deux autres Américains, Nick Cochran, sous les traits somnolents de Robert Mitchum et Lawrence C. Trumble (C. comme Cicéron, mais on lui a promis de garder le secret !), joué par William Bendix. Mitchum a déjà eu droit à un langoureux baiser (qui l’aura un peu réveillé) et Trumble à une vue plongeante sur ses jambes quand elle essaye une paire de bas. Sa valise en est pleine à craquer, au milieu d’huile de coco et de cigares à écouler. Ce policier sous-couverture se fait en effet passer pour un voyageur de commerce. Quant à Nick, cet ancien lieutenant en cavale, on ne sait pas trop ce qu’il vient faire… En sus de ses talents de pickpockets (qu’elle vient d’illustrer aux dépens de ce dernier), Julie sait aussi chanter et elle vient tenter sa chance dans ce repaire du vice.
On y plonge à pleine tête en franchissant les portes du « Quick Reward », aussi assourdis par les trompettes de jazz hurlant qu’étourdis par l’effervescence des joueurs en pleine partie. Des paniers de crabe montent et redescendent, remplis de bijoux mis en gage en échange d’argent permettant de jouer de plus belle. Les transactions s’effectuent à l’étage, derrière les persiennes du chef des crapules, Vincent Halloran. Se sachant traqué par la police pour avoir tué un détective, il soupçonne Nick d’en être un, sous son séduisant costume blanc. Afin d’en savoir plus, il embauche alors la plantureuse chanteuse qui provoque la jalousie de sa croupière aux mains gantées de velours noir – l’actrice Gloria Grahame qui ne semble se dérider qu’au grelot des dés pipés agités dans leur gobelet. Déjà forcée à tourner par Howard Hughes, on comprend mieux ses moues boudeuses devant la muse du producteur fasciné par son imposante poitrine, mise en valeur par sa collection de robes fourreau. Accompagnée par un piano qui semble suspendre le temps des manigances et coups fourrés, Jane Russell éblouit et crèverait littéralement l’écran si Hughes (qui était aussi un magnat de l’aviation) ne lui avait pas fait porter son fameux soutien-gorge fabriqué par ses ingénieurs aéronautiques…
Trêve de fantasmes, revenons aux turpitudes de Macao dont la sombre réputation se prête au film noir. Le Paradis des mauvais garçons commence par une longue chasse à l’homme le long de ses quais, où un détective finit poignardé dans le dos, avant d’être noyé dans ses eaux fangeuses. Le film se clôt sur la même scène mais c’est Nick qu’on voit courir – il a décidemment du mal à se débarrasser de son image de détective ! Il vient d’être libéré de sa geôlière aux gants de velours, sous la complicité du mendiant aveugle (toujours posté aux avant-gardes des complots et occultes machinations). Il saute de barques en pontons, oscille, trébuche et rebondit, se raccroche aux voiles pour finir prisonnier des filets qui l’enserrent tels une immense toile d’araignée. Merveilleux tableau en clair-obscur qui ne laisserait pas d’enchanter si les poursuivants n’étaient armés de couteaux acérés. Ils se trompent de cible et tuent finalement le vrai policier, Trumble, qui meurt en s’excusant à Nick de s’être servi de lui comme appât pour attirer Halloran hors des eaux territoriales de Macao afin de l’arrêter. Nick s’acquittera néanmoins de cette mission en détournant son yacht et le livrant – en détective mouillé ! –à la police. Se plaignant de ces étreintes dégoulinantes, Nick rétorquera à Julie : « Il va bien falloir que tu t’habitues à moi, à chaque fois que tu me verras sortir de la douche ! ».
L’alchimie est telle qu’on croirait éternel le couple Mitchum et Russell. On savoure ces scènes intimes où ils roucoulent comme sur l’affiche, au clair de lune sur un sampan ou lovés à deux sur un rickshaw. De quoi oublier cet escarpin reçu en pleine figure ou bien cette agression au ventilateur… Fatigués des éventails, de la torpeur, des moustiquaires, de l’osier et du bambou des paravents dissimulant les faux-semblants, les tourtereaux prennent le chemin du retour en repentis.
« Tout le monde se sent seul, inquiet et désolé. Tout le monde cherche quelque chose », lui avait-elle confié à l’arrière du sampan. Vous pouvez très bien combler ce vide avec cette magnifique affiche qui vous remplira d’un souffle nostalgique d’exotisme romantique.
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