TempĂȘte sous la Mer (Robert D. Webb, 1953) đ«đ·

Aujourdâhui, je vais vous parler dâĂ©ponges. Non pas celles qui grattent et qui rĂ©curent hystĂ©riquement les recoins douteux de vos sanitaires mais de ces inoffensives espĂšces animales qui tapissent douillettement le fond des ocĂ©ans. Elles nâen finissent pas moins, malheureusement, Ă©chouĂ©es sur le rebord dâun banal lavabo, rĂ©duites Ă leur triste sort utilitaireâŠÂ
Un couple radieux, le visage rayonnant de bien-ĂȘtre, illumine le coin droit de lâaffiche : serait-ce lâeffet miraculeux et soi-disant exfoliant de ces Ă©ponges 100% naturelles ? Ou plutĂŽt celui de lâamour irradiant ces deux ĂȘtres qui pourtant nâĂ©taient pas destinĂ©s Ă sâaimer ? Le scĂ©nariste Bezzerides sâest en effet inspirĂ© du couple RomĂ©o et Juliette pour cette amourette spongieuse, osĂ©-je dire, transposĂ©e dans lâunivers de Tarpon Springs, capitale amĂ©ricaine de lâĂ©ponge, en Floride. Deux clans sây affrontent, sur terre et sous la mer : les Rhys, plongeurs-pĂȘcheurs de descendance irlandaise contre les Petrakis issus de lâimmigration grecque. Les Rhys sont prĂȘts Ă tout pour garder le monopole sur lâĂ©ponge et le font payer cher aux Grecs. La situation sâenvenime lorsque leur fille Gwyneth (Terry Moore, 1,57m) sâĂ©prend follement de Tony, le fils des Petrakis (Robert Wagner, plus grec que nature avec ses cheveux permanentĂ©s et teints en noir). AprĂšs moult jeux puĂ©rils de sĂ©duction, cette petite cĂšde au bel Adonis (ainsi quâil se surnomme) et lui accorde un fatal baiser â sur la pointe des pieds⊠Ses gĂ©niteurs pillent et brĂ»lent le bateau des rivaux, menacent de tuer le pĂšre (Gilbert Roland qui a facilement troquĂ© son accent mexicain pour un grec) en lui coupant lâoxygĂšne qui alimente son scaphandre. Les deux tourtereaux nâen tiennent rigueur et continuent leur idylle interdite. Contrairement Ă Shakespeare, aucune fin tragique ne vient flĂ©trir leurs beaux visages et un mariage sur fond de rĂ©conciliation rĂ©unit leur famille.  Â
Si la « TempĂȘte » sur terre nâest que relative (pour filer la mĂ©taphore shakespearienne) et se termine sous le soleil, une autre, bien rĂ©elle, se joue sous la mer. On lâavait dĂ©jĂ compris avec le double titre franco-belge TempĂȘte sous la Mer / Storm onder Zee qui prĂ©voyait une mer agitĂ©e. La zone de turbulence se trouve en effet au pied dâun mystĂ©rieux rĂ©cif situĂ© Ă 12 miles de la cĂŽte. Une petite plongĂ©e vous tente ? On lâapprĂ©hende par des envolĂ©es oniriques de harpe annonçant un sinistre prĂ©sage. Au fur et Ă mesure de la descente sâĂ©grĂšnent de magnifiques massifs de corail, des grottes, des dĂ©filĂ©s de poissons â tarpons, carangues, raies Manta, requins et poisson-clown, transfigurĂ©s par le format panoramique de lâimage (TempĂȘte sous la Mer est en effet le deuxiĂšme film tournĂ© en cinĂ©mascope). Le fond regorge de milliers dâĂ©ponges, un paradis pour ses ramasseurs mais Ă quel prix ! Un des marins aura prĂ©venu le pĂšre de Tony : quâil se mĂ©fie de ce rĂ©cif qui « nâoublie jamais », « qui vous attend Ă bras ouverts, prĂȘt Ă vous Ă©treindre pour lâĂ©ternité », mais en vainâŠÂ lâintrĂ©pide chef de clan doit montrer lâexemple devant son fils. Suivant un rituel trĂšs ordonnĂ© et assistĂ© religieusement par son fidĂšle Ă©quipage, on le voit revĂȘtir un scaphandre, enfiler son bonnet, tirer une derniĂšre fois sur sa cigarette, faire une priĂšre avant de visser fatidiquement son casque. Cela ne suffit pas Ă le ramener vivant. Les pieds pris au piĂšge, il glisse le long de la paroi rocheuse et ne remonte que trop tard. AccablĂ© par la mort de son pĂšre, Tony dĂ©cide quand-mĂȘme de perpĂ©tuer la tradition et sâaventure Ă son tour dans ces lieux maudits, en quĂȘte dâĂ©ponges. Câest lui quâon voit lutter au milieu de lâaffiche contre cette gigantesque pieuvre quâon croirait surgir du film Vingt Mille Lieues sous les Mers tirĂ© du roman de Jules Verne. Cette scĂšne de combat hĂ©roĂŻque â RomĂ©o aurait-il Ă©tĂ© capable de faire ça ? sâensuit dâun corps Ă corps sous lâeau avec lâennemi du camp adverse et sa victoire fera de lui un homme. La tempĂȘte est passĂ©e, les monstres sont vaincus et les ennemis amadouĂ©s. Vous ne ferez donc pas de cauchemars en accrochant cette affiche oĂč bon vous semble, mĂȘme au-dessus de votre Ă©vier !
Check out the English version of this article.