She Gods of Shark Reef (Roger Corman, 1958) đ«đ·

« Cet Ă©tĂ© encore, vous nâirez pas vous baigner ! », nous prĂ©venait Spielberg dans une de ses affiches du film culte Les Dents de la Mer. Pour vous gĂącher les vacances, il nây a pas mieux comme phrase dâaccrocheâŠMais je crains quâen accrochant celle de She Gods of Shark Reef dans votre salon, chambre Ă coucher ou salle de bain â non, quand-mĂȘme, pas au-dessus de la baignoire !, vous ne fassiez quâaggraver votre « squalophobie » (ou peur des requins). Câest Ă cause de tous ces films de requins que je rechigne Ă me baigner dans les eaux iodĂ©es, privilĂ©giant les plus douces ou carrĂ©ment chlorĂ©es des piscines bondĂ©es â au moins, je ne suis pas claustrophobe ! Â
Une scĂšne dâĂ©pouvante se joue sur cette affiche vive et intense, entre un gigantesque squale noir luisant de voracitĂ© et une nymphette sans dĂ©fense, pieds et poings liĂ©s par on ne sait quel cruel chĂątiment. Ce monstre fonce droit sur elle, sous nos yeux impuissants, lâĆil torve, la double rangĂ©e de dents acĂ©rĂ©es, insensible Ă son regard implorant dâinnocente. Trois autres grĂąces aquatiques sâempressent de la secourir en vain. Si son prĂ©dateur ne la dĂ©vore toute entiĂšre, son acolyte engloutira les restes â sauf les pauvres fleurs peut-ĂȘtre, souvenir dâun « luxuriant paradis terrestre ». Le danger se trouve justement sous la mer, prĂ©cisĂ©ment au pied dâun rĂ©cif oĂč rĂšgne en maĂźtresse une « horrible dĂ©esse en pierre ». Elle rĂ©clame insatiablement son lot de victimes. Son visage, aussi avenant quâun masque mortuaire, est entourĂ© dâun halo jaunĂątre, diffusant la terreur divine. Le titre en lettres rouge sang sây dĂ©tache et annonce la couleur : attendez-vous Ă passer 63 minutes dâhorreur et dâeffroi !
Câest exactement ce Ă quoi je mâattendais avant de voir le film. Des images choquantes de vierges nubiles dĂ©chiquetĂ©es par des hordes de requins affamĂ©s, dictĂ©s par de mystĂ©rieux rites funĂ©raires sous-marins dâune dĂ©esse vengeresse. Lâhistoire se passe Ă HawaĂŻ, sur lâĂźle de Kauai prĂ©cisĂ©ment, rĂ©putĂ©e pour ces lĂ©gendes de dieux, dĂ©esses, fantĂŽmes et gobelins. Tel Ku, le dieu de la guerre qui rĂ©clamait son dĂ» de jeunes filles et garçons, ou Pele, la dĂ©esse qui rageusement dĂ©clenchait sĂ©ismes et Ă©ruptions volcaniques. HawaĂŻ nâa donc pas toujours Ă©tĂ© le paradis des surfeurs quâon croyait! Les scĂ©naristes Robert Hill et Victor Stoloff ont dĂ» sâen inspirer quand bien mĂȘme la dĂ©esse quâon voit sur lâaffiche nâapparaissait pas dans le titre original (qui se rĂ©sumait au moins vendeur, The Shark Reef). Mais si les mythes et les superstitions imprĂšgnent lâhistoire, aucune trace dâhĂ©moglobine ne vient entacher lâĂ©cran. Ce film est absolument regardable par nâimporte quel public â sauf le plus exigeantâŠ
Deux frĂšres rescapĂ©s dâune tempĂȘte (dĂ©clenchĂ©e par la dĂ©esse de la mer ?) Ă©chouent sur une Ăźle peuplĂ©e exclusivement de femmes ramasseuses de perles. On se dit quâils sont chanceux⊠Mais leur arrivĂ©e dĂ©clenche Ă nouveau les foudres de la dĂ©esse quand le blond gentil (Bill Cord) sâĂ©prend de la plus belle (Lisa Montell) et que le brun (Don Durand) qui a dĂ©jĂ tuĂ© un homme, sâempare dâun sac de perles. La vieille cheffe est sans pitiĂ©. Pour elle, il nây a quâune seule issue, fatale : sacrifier la jeune fille aux requins pour apaiser la colĂšre divine. ParĂ©e de ses plus beaux atours, elle est poussĂ©e Ă lâeau par la mĂ©chante matrone. SauvĂ©e de justesse par le blond, on devine alors la suiteâŠIls passeront le dernier quart dâheure du film exilĂ©s sur ce fameux rĂ©cif aux requins quâils ont rejoint en fabriquant une pirogue de fortune. Le frĂšre quant Ă lui, est puni de son aviditĂ© en finissant bel et bien croquĂ© par les requins. Les deux tourtereaux, enfin seuls, prennent la mer vidĂ©e de ses monstres, vers un horizon calme et apaisant.  Â
AnimĂ©e tout dâabord par une curiositĂ© malsaine (celle qui vous pousse Ă visionner des films dâhorreurs), je me suis vite aperçue quâil sâagissait dâun inoffensif film dâaventures de sĂ©rie B, en arrĂȘtant alors dây chercher autre chose quâun dĂ©paysement exotique. Les dĂ©cors tropicaux de vĂ©gĂ©tation luxuriante et plages de sable fin nâont, en rĂ©alitĂ©, rien de dĂ©plaisant, pas moins que les corps des deux mĂąles musclĂ©s, avantageusement vĂȘtus dâun simple pagne fĂ©minin tout le long du film. Si jâai appris certaines choses dans les us et coutumes hawaĂŻennes (quâil ne fallait jamais, notamment, casser le « lei » ou collier de fleurs quâon vous offrait), dâautres mâont Ă©chappĂ© comme les signaux envoyĂ©s par les levers de drapeaux ou cette langue Ă©trangement Ă©corchĂ©e, Ă mi-chemin entre la langue locale, je prĂ©sume, et lâanglais Ă©lisabĂ©thain qui me fit me cramponner aux sous-titres. Je me suis finalement accoutumĂ©e aux requins qui semblaient anesthĂ©siĂ©s, sinon euthanasiĂ©s, prise peu Ă peu dâune envie de les caresser, comme le fait Lisa Montell, en les repoussant gentiment de la main lorsquâils attaquent. Je sais maintenant ce que devrais faire un jour pour vaincre dĂ©finitivement ma peur : aller murmurer Ă lâoreille des requins !
Directed by:Â Roger Corman
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