Ombres sous la Mer (Jean Negulesco, 1957) đ«đ·
« Jâavais dĂ©jĂ prĂšs de neuf ans lorsque je tombai amoureux pour la premiĂšre fois. Je fus tout entier aspirĂ© par une passion violente, totale, qui mâempoisonna complĂštement lâexistence et faillit mĂȘme me coĂ»ter la vie » nous confiait Romain Gary dans ses souvenirs dâenfance. Câest exactement ce qui aurait pu vous arriver si votre pĂšre vous avait laissĂ© regarder Ombres sous la Mer dont la jaquette trompeuse vous avait fait croire, Ă lâaube de votre prĂ©-adolescence, Ă une inoffensive histoire de dauphin. Arguant que ce nâĂ©tait pas de votre Ăąge, il vous avait consolĂ© avec Flipper le Dauphin, ce formidable rĂ©cit dâamitiĂ© entre un garçon et cet adorable mammifĂšre marin, joyeux drille et « frĂšre des hommes », selon les Grecs.
Aujourdâhui, anniversaire oblige, vous cherchez Ă lui faire plaisir. Cravate, chaussettes ou verre Ă biĂšre, vous en avez assez de lâĂ©ternelle rengaine. Et si vous gĂątiez cet incorrigible nostalgique avec cette superbe affiche qui le fera plonger Ă lâĂ©poque de ses premiers Ă©mois ?
Car si un dauphin chevauchĂ© par un drĂŽle de garçon nous entraĂźne ici dans sa fougue, notre Ćil est en mĂȘme temps affolĂ© par la multiple apparition dâune silhouette avantageusement dĂ©nudĂ©e, celle de la sublime Sophia Loren.
De dauphins dâailleurs, il en est peu question dans ce film â encore moins de requins, rassurez-vous⊠Celui que dĂ©couvre Loren git au pied dâune Ă©pave et date de « lâĂąge du Christ » (vite, signez-vous comme elle le fait en lâapprenant !). Câest un trĂ©sor tombĂ© du ciel pour cette plongeuse qui survit en ramassant des Ă©ponges au large de lâĂźle grecque dâHydra, en compagnie de son ami aussi peu scrupuleux que paresseux. Ce dauphin en bronze et surmontĂ© dâun garçonnet en or va Ă©videmment attirer toutes les convoitises. On pressent le pire avec le titre français Ombres sous la Mer : la vengeance de PosĂ©idon dĂ©clenchant des tempĂȘtes, des mĂ©duses, des monstres marins aussi avenants que Charybde et Scylla engloutissant dans les trĂ©fonds de la mer EgĂ©e les plongeurs avides, mais il nâen est rien.
Ces plongĂ©es sont autant dâexcuses pour filmer le galbe parfait du corps de Loren. Lâeau est son Ă©lĂ©ment, la terre son terrain de chasse masculin. Avec une grĂące de dauphin, elle rejoint amoureusement un autre plongeur (le petit mais grand acteur Alan Ladd), dĂ©sireux de sâemparer de deux trĂ©sors (vous aurez compris lesquels !) et finira par faire coup double, comme on le voit en bas de lâaffiche. Notre petite pĂȘcheuse dâĂ©ponges est aussi belle mouillĂ©e, telle une VĂ©nus de Botticelli sortant des flots (on en profite Ă chaque remontĂ©e sur le bateau !) que sĂ©chĂ©e, lorsquâelle cherche Ă sĂ©duire le marchand dâart amĂ©ricain (Clifton Webb) aussi esthĂšte que malhonnĂȘte, qui ne plonge pas, mais court sur lâaffiche â sans perdre une goutte de son Ă©lĂ©gance. Action, sĂ©duction, trahison, le film nous promĂšne au cĆur dâune GrĂšce authentique, magnifiquement filmĂ©e et projetĂ© en CinĂ©mascope, idĂ©al pour rendre compte de ses fascinants fonds marins et de sa grandeur passĂ©e : outre le ParthĂ©non quâon reconnaĂźt sur lâaffiche, on y escalade en ascenseur de fortune le monastĂšre haut perchĂ© de MĂ©tĂ©orĂšs, on y expĂ©rimente lâextraordinaire acoustique dâun amphithĂ©Ăątre et on y admire les corps dâathlĂštes de statues grecques.
ChevauchĂ©es, courses-poursuites et plongĂ©es, lâaffiche nous fait chavirer et il est bon de sâasseoir Ă Â une table (en bas Ă gauche) le temps dâune chanson dâamour interprĂ©tĂ©e par Loren qui double (en plus de parler anglais dans le film, elle nâallait pas en plus apprendre le grec !) la cĂ©lĂšbre « Ti ein afto pou to lene agapi » (« que signifie le mot amour ») quâon se surprend Ă humer bien aprĂšs la fin du film. Aussi Ă lâaise dans lâeau que sur terre, ses talents de danseuse sont quant Ă eux bien rĂ©els dans ses dĂ©monstrations de Sirtaki. Nâen dĂ©plaise aux amateurs amĂ©ricains de champagne et de caviar, ils la dĂ©couvrent ici dans toute sa splendeur de princesse sauvage, mangeuse dâhommes et de kopanisti.
Cette indomptable crĂ©ature avait sans doute sa place sur le dos du dauphin, au mĂȘme titre que toutes celles qui mĂ©ritent un triomphe. Alors, osez, vous aussi la chevauchĂ©e et mettez ce poster dans votre panier, vous ferez un heureux (papa) !
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