Ombres sous la Mer (Jean Negulesco, 1957) đŸ‡«đŸ‡·

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November 21, 2021

« J’avais dĂ©jĂ  prĂšs de neuf ans lorsque je tombai amoureux pour la premiĂšre fois. Je fus tout entier aspirĂ© par une passion violente, totale, qui m’empoisonna complĂštement l’existence et faillit mĂȘme me coĂ»ter la vie » nous confiait Romain Gary dans ses souvenirs d’enfance. C’est exactement ce qui aurait pu vous arriver si votre pĂšre vous avait laissĂ© regarder Ombres sous la Mer dont la jaquette trompeuse vous avait fait croire, Ă  l’aube de votre prĂ©-adolescence, Ă  une inoffensive histoire de dauphin. Arguant que ce n’était pas de votre Ăąge, il vous avait consolĂ© avec Flipper le Dauphin, ce formidable rĂ©cit d’amitiĂ© entre un garçon et cet adorable mammifĂšre marin, joyeux drille et « frĂšre des hommes », selon les Grecs.

Aujourd’hui, anniversaire oblige, vous cherchez Ă  lui faire plaisir. Cravate, chaussettes ou verre Ă  biĂšre, vous en avez assez de l’éternelle rengaine. Et si vous gĂątiez cet incorrigible nostalgique avec cette superbe affiche qui le fera plonger Ă  l’époque de ses premiers Ă©mois ?

Car si un dauphin chevauchĂ© par un drĂŽle de garçon nous entraĂźne ici dans sa fougue, notre Ɠil est en mĂȘme temps affolĂ© par la multiple apparition d’une silhouette avantageusement dĂ©nudĂ©e, celle de la sublime Sophia Loren.

De dauphins d’ailleurs, il en est peu question dans ce film – encore moins de requins, rassurez-vous
 Celui que dĂ©couvre Loren git au pied d’une Ă©pave et date de « l’ñge du Christ » (vite, signez-vous comme elle le fait en l’apprenant !). C’est un trĂ©sor tombĂ© du ciel pour cette plongeuse qui survit en ramassant des Ă©ponges au large de l’üle grecque d’Hydra, en compagnie de son ami aussi peu scrupuleux que paresseux. Ce dauphin en bronze et surmontĂ© d’un garçonnet en or va Ă©videmment attirer toutes les convoitises. On pressent le pire avec le titre français Ombres sous la Mer : la vengeance de PosĂ©idon dĂ©clenchant des tempĂȘtes, des mĂ©duses, des monstres marins aussi avenants que Charybde et Scylla engloutissant dans les trĂ©fonds de la mer EgĂ©e les plongeurs avides, mais il n’en est rien.

Ces plongĂ©es sont autant d’excuses pour filmer le galbe parfait du corps de Loren. L’eau est son Ă©lĂ©ment, la terre son terrain de chasse masculin. Avec une grĂące de dauphin, elle rejoint amoureusement un autre plongeur (le petit mais grand acteur Alan Ladd), dĂ©sireux de s’emparer de deux trĂ©sors (vous aurez compris lesquels !) et finira par faire coup double, comme on le voit en bas de l’affiche. Notre petite pĂȘcheuse d’éponges est aussi belle mouillĂ©e, telle une VĂ©nus de Botticelli sortant des flots (on en profite Ă  chaque remontĂ©e sur le bateau !) que sĂ©chĂ©e, lorsqu’elle cherche Ă  sĂ©duire le marchand d’art amĂ©ricain (Clifton Webb) aussi esthĂšte que malhonnĂȘte, qui ne plonge pas, mais court sur l’affiche – sans perdre une goutte de son Ă©lĂ©gance. Action, sĂ©duction, trahison, le film nous promĂšne au cƓur d’une GrĂšce authentique, magnifiquement filmĂ©e et projetĂ© en CinĂ©mascope, idĂ©al pour rendre compte de ses fascinants fonds marins et de sa grandeur passĂ©e : outre le ParthĂ©non qu’on reconnaĂźt sur l’affiche, on y escalade en ascenseur de fortune le monastĂšre haut perchĂ© de MĂ©tĂ©orĂšs, on y expĂ©rimente l’extraordinaire acoustique d’un amphithĂ©Ăątre et on y admire les corps d’athlĂštes de statues grecques.

ChevauchĂ©es, courses-poursuites et plongĂ©es, l’affiche nous fait chavirer et il est bon de s’asseoir à  une table (en bas Ă  gauche) le temps d’une chanson d’amour interprĂ©tĂ©e par Loren qui double (en plus de parler anglais dans le film, elle n’allait pas en plus apprendre le grec !) la cĂ©lĂšbre « Ti ein afto pou to lene agapi » (« que signifie le mot amour ») qu’on se surprend Ă  humer bien aprĂšs la fin du film. Aussi Ă  l’aise dans l’eau que sur terre, ses talents de danseuse sont quant Ă  eux bien rĂ©els dans ses dĂ©monstrations de Sirtaki. N’en dĂ©plaise aux amateurs amĂ©ricains de champagne et de caviar, ils la dĂ©couvrent ici dans toute sa splendeur de princesse sauvage, mangeuse d’hommes et de kopanisti.

Cette indomptable crĂ©ature avait sans doute sa place sur le dos du dauphin, au mĂȘme titre que toutes celles qui mĂ©ritent un triomphe. Alors, osez, vous aussi la chevauchĂ©e et mettez ce poster dans votre panier, vous ferez un heureux (papa) !

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