James Bond — Moonraker (Lewis Gilbert, 1979) đŸ‡«đŸ‡·

November 26, 2021

Rayonnant tel un astre argentĂ© dans sa combinaison spatiale dernier cri, James Bond a trouvĂ© un remĂšde contre le mal de l’espace : une nuĂ©e de nymphettes interstellaires mises en orbite par son irrĂ©sistible force d’attraction. PositionnĂ© au centre de l’univers, Roger Moore dĂ©fie les lois de la gravitĂ© en nous prodiguant, dans ce onziĂšme opus, son lot de cascades et courses-poursuites habituelles, dans les airs plus que sur la terre.

En 1969, la NASA envoyait un homme sur la lune. Dix ans plus tard, l’agent double zĂ©ro sept prĂ©cipitait son ennemi dans le vide galactique, « un bond de gĂ©ant pour l’humanitĂ© » pour reprendre sa boutade
 Il venait en effet de dĂ©barrasser la terre d’un nouvel Hitler rĂ©incarnĂ© en Drax (se cachant sous la barbichette de Michael Lonsdale). A la maniĂšre du mĂ©chant Stromberg qui rĂȘvait d’un monde meilleur sous la mer, dans L’Espion qui m’aimait, Hugo Drax fomente un gĂ©nocide terrestre Ă  l’aide d’un poison dĂ©rivĂ© d’une fleur d’orchidĂ©e. Inventeur de la navette Moonraker (littĂ©ralement, « racleur de lune »), elle lui sert d’Arche de NoĂ© pour acheminer des spĂ©cimens humains de « races parfaites » vers sa station spatiale.

Ces dĂ©cors futuristes rappellent Ă©videmment ceux de 2001, l’OdyssĂ©e de l’espace de Kubrick, Ă©voquĂ© en clin d’Ɠil par les premiĂšres notes cosmiques d’Ainsi parlait Zarathoustra, claironnĂ©es lors d’une partie de chasse dans la propriĂ©tĂ© de Drax. GĂ©nialement imaginĂ©s par Ken Adam, qui avait dessinĂ© la salle de commande du Dr Folamour, il s’en dĂ©gage une certaine angoisse lyrique en apercevant de trĂšs loin la planĂšte bleue. Le blanc clinique des tableaux de bord s’enlumine de boutons qui clignotent et on est forcĂ©ment tentĂ© d’appuyer sur le rouge, mais
 trop tard : des sabres-laser surgis de La Guerre des Ă©toiles sĂšment la panique et l’on est propulsĂ© dans la noirceur du vide sidĂ©ral.

Si cette derniĂšre demi-heure de film est pour le moins « renversante », la tĂȘte dans les Ă©toiles, rares sont les scĂšnes oĂč l’on touche terre, Ă  proprement parler. Depuis le gĂ©nĂ©rique oĂč une silhouette nue ondule au clair de lune autour d’une barre fixe (sur la chanson de Shirley Bassey) jusqu’à la scĂšne finale oĂč Bond et sa girl (Lois Chiles en espionne sexy de la CIA) font fi de la pesanteur en pleine partie de jambes
 en l’air prĂ©cisĂ©ment !

Dans le prĂ©-gĂ©nĂ©rique, on assiste Ă  une interminable chute libre de Bond d’un avion – merci les cascadeurs ! SauvĂ© de justesse par le parachute de son agresseur qu’il arrache en plein vol, il est alors attaquĂ© par un Requin volant –un revenant qui n’a pas perdu une seule dent d’acier depuis l’Espion qui m’aimait ! On retrouve ce gĂ©ant plus souriant que jamais Ă  Rio, dans une sĂ©quence tout aussi vertigineuse, sur le tĂ©lĂ©phĂ©rique du Pain de Sucre. Non en touriste mais en tueur, capable de rompre le cĂąble Ă  pleines dents. Pour la petite histoire, ces prouesses acrobatiques faillirent coĂ»ter la vie Ă  l’un des cascadeurs suspendu Ă  l’une de ses cabines Ă  300 mĂštres au-dessus de la mer ! Cet amour du vide nous emmĂšne au-dessus des chutes d’Iguazu, survolĂ©es Ă  bord d’un delta-plane Ă©chappĂ© du hors-bord de Bond, tel un lapin sorti d’un chapeau. A Venise, aprĂšs une folle cavale Ă  travers les canaux, 007 fait atterrir sa gondole amphibie au milieu des pigeons de la Place Saint Marc, sous l’Ɠil Ă©bahi des touristes. C’est du haut de son cheval, sur la musique des Trois Mercenaires qu’il rejoint un monastĂšre mexicain transformĂ© en QG de la MI6, dernier bureau de M., patron des services secrets de Sa MajestĂ© (Sir Miles Messervy de son vrai nom), qui totalisera onze James Bond Ă  son actif.

S’il redescend sur terre, c’est pour mieux rebondir et envoyer valdinguer ses ennemis
tombĂ©s du ciel. AprĂšs la chute mĂ©morable de Requin, la tĂȘte la premiĂšre dans un filet de trapĂ©ziste, James Bond abat un chasseur qui s’écrase Ă  plat ventre du haut d’un arbre, tel un faisan. Idem pour cet ambulancier finissant sa course dans le dĂ©cor d’un panneau publicitaire pour la British Airways, ou pour ce mĂ©chant Japonais propulsĂ© dans les cordes d’un piano Ă  queue : ils n’avaient qu’à apprendre Ă  voler !

Cette surenchĂšre d’acrobaties produit sur moi, j’avoue, le mĂȘme effet que la centrifugeuse sur James Bond – j’en sors pour le moins sonnĂ©e. Je me complais davantage dans cet Ă©tat vaporeux d’apesanteur qui amortit tout ce trop-plein de cavalcades. Je finirais bien, moi aussi, en orbite, Ă  « ratisser la lune », trinquant aux Ă©toiles en compagnie de Requin et de sa nouvelle dulcinĂ©e !

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