James Bond â Moonraker (Lewis Gilbert, 1979) đ«đ·
Rayonnant tel un astre argentĂ© dans sa combinaison spatiale dernier cri, James Bond a trouvĂ© un remĂšde contre le mal de lâespace : une nuĂ©e de nymphettes interstellaires mises en orbite par son irrĂ©sistible force dâattraction. PositionnĂ© au centre de lâunivers, Roger Moore dĂ©fie les lois de la gravitĂ© en nous prodiguant, dans ce onziĂšme opus, son lot de cascades et courses-poursuites habituelles, dans les airs plus que sur la terre.
En 1969, la NASA envoyait un homme sur la lune. Dix ans plus tard, lâagent double zĂ©ro sept prĂ©cipitait son ennemi dans le vide galactique, « un bond de gĂ©ant pour lâhumanitĂ© » pour reprendre sa boutade⊠Il venait en effet de dĂ©barrasser la terre dâun nouvel Hitler rĂ©incarnĂ© en Drax (se cachant sous la barbichette de Michael Lonsdale). A la maniĂšre du mĂ©chant Stromberg qui rĂȘvait dâun monde meilleur sous la mer, dans LâEspion qui mâaimait, Hugo Drax fomente un gĂ©nocide terrestre Ă lâaide dâun poison dĂ©rivĂ© dâune fleur dâorchidĂ©e. Inventeur de la navette Moonraker (littĂ©ralement, « racleur de lune »), elle lui sert dâArche de NoĂ© pour acheminer des spĂ©cimens humains de « races parfaites » vers sa station spatiale.
Ces dĂ©cors futuristes rappellent Ă©videmment ceux de 2001, lâOdyssĂ©e de lâespace de Kubrick, Ă©voquĂ© en clin dâĆil par les premiĂšres notes cosmiques dâAinsi parlait Zarathoustra, claironnĂ©es lors dâune partie de chasse dans la propriĂ©tĂ© de Drax. GĂ©nialement imaginĂ©s par Ken Adam, qui avait dessinĂ© la salle de commande du Dr Folamour, il sâen dĂ©gage une certaine angoisse lyrique en apercevant de trĂšs loin la planĂšte bleue. Le blanc clinique des tableaux de bord sâenlumine de boutons qui clignotent et on est forcĂ©ment tentĂ© dâappuyer sur le rouge, mais⊠trop tard : des sabres-laser surgis de La Guerre des Ă©toiles sĂšment la panique et lâon est propulsĂ© dans la noirceur du vide sidĂ©ral.
Si cette derniĂšre demi-heure de film est pour le moins « renversante », la tĂȘte dans les Ă©toiles, rares sont les scĂšnes oĂč lâon touche terre, Ă proprement parler. Depuis le gĂ©nĂ©rique oĂč une silhouette nue ondule au clair de lune autour dâune barre fixe (sur la chanson de Shirley Bassey) jusquâĂ la scĂšne finale oĂč Bond et sa girl (Lois Chiles en espionne sexy de la CIA) font fi de la pesanteur en pleine partie de jambes⊠en lâair prĂ©cisĂ©ment !
Dans le prĂ©-gĂ©nĂ©rique, on assiste Ă une interminable chute libre de Bond dâun avion â merci les cascadeurs ! SauvĂ© de justesse par le parachute de son agresseur quâil arrache en plein vol, il est alors attaquĂ© par un Requin volant âun revenant qui nâa pas perdu une seule dent dâacier depuis lâEspion qui mâaimait ! On retrouve ce gĂ©ant plus souriant que jamais Ă Rio, dans une sĂ©quence tout aussi vertigineuse, sur le tĂ©lĂ©phĂ©rique du Pain de Sucre. Non en touriste mais en tueur, capable de rompre le cĂąble Ă pleines dents. Pour la petite histoire, ces prouesses acrobatiques faillirent coĂ»ter la vie Ă lâun des cascadeurs suspendu Ă lâune de ses cabines Ă 300 mĂštres au-dessus de la mer ! Cet amour du vide nous emmĂšne au-dessus des chutes dâIguazu, survolĂ©es Ă bord dâun delta-plane Ă©chappĂ© du hors-bord de Bond, tel un lapin sorti dâun chapeau. A Venise, aprĂšs une folle cavale Ă travers les canaux, 007 fait atterrir sa gondole amphibie au milieu des pigeons de la Place Saint Marc, sous lâĆil Ă©bahi des touristes. Câest du haut de son cheval, sur la musique des Trois Mercenaires quâil rejoint un monastĂšre mexicain transformĂ© en QG de la MI6, dernier bureau de M., patron des services secrets de Sa MajestĂ© (Sir Miles Messervy de son vrai nom), qui totalisera onze James Bond Ă son actif.
Sâil redescend sur terre, câest pour mieux rebondir et envoyer valdinguer ses ennemisâŠtombĂ©s du ciel. AprĂšs la chute mĂ©morable de Requin, la tĂȘte la premiĂšre dans un filet de trapĂ©ziste, James Bond abat un chasseur qui sâĂ©crase Ă plat ventre du haut dâun arbre, tel un faisan. Idem pour cet ambulancier finissant sa course dans le dĂ©cor dâun panneau publicitaire pour la British Airways, ou pour ce mĂ©chant Japonais propulsĂ© dans les cordes dâun piano Ă queue : ils nâavaient quâĂ apprendre Ă voler !
Cette surenchĂšre dâacrobaties produit sur moi, jâavoue, le mĂȘme effet que la centrifugeuse sur James Bond â jâen sors pour le moins sonnĂ©e. Je me complais davantage dans cet Ă©tat vaporeux dâapesanteur qui amortit tout ce trop-plein de cavalcades. Je finirais bien, moi aussi, en orbite, à « ratisser la lune », trinquant aux Ă©toiles en compagnie de Requin et de sa nouvelle dulcinĂ©e !
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