La Force des ténèbres (Richard Thorpe, 1937) 🇫🇷
Au commencement était un homme remuant la terre au milieu des ténèbres blafardes d’une nuit sans étoiles. Penché au pied d’un arbre, il sifflotait, l’air de rien. Il s’arrêta net lorsqu’une voix s’éleva : « Qui va là ? »
Et la lumière fut ! Un soleil radieux inondait la campagne anglaise et Danny faisait son entrée chez Mrs. Bramson – les mains encore pleines de terre de ses travaux nocturnes. Cigarette au bec et casquette vissé sur une bouille enfantine, celui qu’on surnommait Babyface allait détrôner la nièce de cette infirme acariâtre en devenant son zélé serviteur.
Robert Montgomery, plutôt accoutumé aux comédies, nous séduit ici par son éblouissante noirceur. Avec lui, les mornes sorties en fauteuil roulant de cette (fausse) invalide prennent des allures de courses folles, la maison s’endiable de rires sardoniques inhabituels, il la cajole, la flatte, la chatouille et l’empiffre de chocolats. Il parait même avoir acquis les faveurs du prémonitoire chat noir de la maison qui n’a pas l’air de se souvenir de cette méchante raclée injustifiée (inquiétante scène où l’on voit Danny agripper le matou et l’envoyer valdinguer). « La nuit, tous les chats sont gris » et Mrs. Bramson semble l’avoir oublié… Quoi qu’il en soit, Danny prend soin d’elle comme un fils et lui offre le châle de sa soi-disant défunte mère. Sauf qu’Olivia, qui n’est pas dupe sous ses lunettes, lui fait observer qu’il n’a pas enlevé le prix... Lui demandant au passage s’il ne se sent pas coupable du meurtre qu’il a commis.
Elle aurait pu dénoncer cet assassin à la police, elle n’en fait rien. Sur l’affiche, elle a justement enlevé sa paire de lunettes parce qu’il la préfère comme ça. Les retirer, c’est aussi d’une certaine manière, accéder au monde invisible et insondable de l’inconscient, autrement plus fascinant que son univers étriqué de soubrette. La mort habite ces zones d’ombres et viendra inéluctablement frapper à l’heure où la nuit tombe, comme l’évoque le titre Night Must Fall en lettres blanches qui se détachent des ténèbres opaques. Sous la double casquette à proprement parler de serviteur et criminel, Danny passe allégrement du rationnel à la folie en gravissant symboliquement l’échelle contre laquelle on le voit s’appuyer.
De même que le noir envahit l’affiche, la peur nous gagne. Le ciel crépusculaire du générique se décline en clairs-obscurs d’où surgit, telle une apparition, le visage sur-éclairé d’une Olivia effarée. Elle vient de découvrir une bien étrange boîte ronde, trop lourde pour contenir un chapeau, sous le lit de Danny. Il la nargue en taillant nonchalamment des bûchettes à l’aide de son couteau. Occupé à bichonner la chaise roulante, il n’est plus drôle du tout quand il se met à siffloter un air que l’on reconnaît… Qui sera la prochaine victime ? Le compte à rebours est évoqué par le tic-tac glaçant d’une pendule. Un cri déchirant s’élève de la forêt : on vient de déterrer le corps d’une femme décapitée au pied d’un arbre.
Rosalind Russell rayonne en incarnant alors une nièce envoûtée par cette « Force des ténèbres », dont la contenance servile fait place à des pulsions diaboliques. Au lieu de fuir aux bras de son fiancé, elle pousse la folie jusqu’à protéger Danny en s’emparant de la boîte à chapeau. En voilà une autre qui a perdu la tête…
Le jour décline et la nuit menaçante s’infiltre dans la maison. C’est l’heure de vérité –rideau ! – les numéros de clown sont terminés. Danny a pris soin d’arracher les fils du téléphone avant de filer dans la chambre de Mrs. Bramson. L’ombre d’une main saisissant un coussin assombrit sur son visage hystérique. Reste à Danny de se débarrasser des témoins (n’ayez crainte, le chat sera épargné !).
J’ai hâte que le jour se lève et voilà qu’enfin, la nuit ténébreuse emporte le criminel menotté dans la forêt profonde. Quant au sort d’Olivia, je vous laisse deviner, avec ou sans lunettes, comme vous préférez !
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