King Kong, la huitième merveille du monde (Merian C. Cooper et Ernest B. Schoedsack, 1933) 🇫🇷
Tout est parti d’un malentendu. Lorsque Merian C. Cooper annonça à l’actrice Fay Wray qu’elle allait tourner avec « le plus grand, le plus beau brun des jeunes premiers du cinéma hollywoodien », elle ne s’attendait pas à se retrouver captive d’un monstre velu qui n’avait absolument rien d’un Clark Gable !
Son nom est Kong, King Kong. On a tous en tête cette incroyable scène où ce colosse déchaîné lutte contre des biplans du haut de l’Empire State Building. L’affiche nous le montre en train d’escalader un immeuble d’une main, empoignant de l’autre sa proie comme une poupée Barbie. Sa tête, énorme, s’encadrant dans la fenêtre d’une dormeuse, vient de dégager une énième bouffée d’horreur. Haï, traqué, son poil luit autant que sa rage étincelle. Cette bête fulmine contre la bêtise des hommes qui l’ont arraché à sa jungle natale pour l’exhiber sur les planches de Broadway en « huitième merveille du monde ». On se demande qui est la « bête »…
Cette séance de grimpe est vue en plongée, depuis le sommet du bâtiment où nous, spectateurs mortifiés, nous trouvons. Penchés dans le coin droit de l’affiche, trois visages médusés savent déjà ce qui nous attend. Ces rescapés ont eu leur compte d’horreurs, depuis le jour où ils ont mis le pied sur l’Ile de Skull, à la forme prémonitoire de crâne humain. Une aubaine pour Carl Denham (réplique de Cooper ?), cet aventurier-réalisateur en mal d’exotisme et de romance qui avait trouvé en Ann (la hurlante Fay Wray) le parfait appât pour attirer le monstre. Pendant la traversée, il lui enseigne l’art du cri dont elle abusera dans tout ou partie du film, à l’unisson avec les grognements du gorille géant (créés à partir d’enregistrements de rugissements de tigre diffusés en ralenti et à l’envers), le tout noyé dans les leitmotivs du compositeur Max Steiner.
Parée pour l’horreur, Ann est livrée par les indigènes au maître des lieux qui se trouve de l’autre côté de la muraille (recyclée du film biblique Le Roi des rois, de Cecil B. Demille), fief onirique de Kong dont les clairs-obscurs renvoient à l’univers de Gustave Doré. Ligotée sur l’autel du sacrifice, ses cris ne tardent pas à appâter son ravisseur qui l’enlève et l’emporte au fond des bois…On est en plein conte de fées. Craquement de feuilles, feulements, hourvaris de créatures nocturnes, le pire est à venir. Une équipe d’hommes s’est lancée bravement à sa rescousse, suivant les gigantesques empreintes laissées par la bête. Ils se retrouvent nez à nez avec des dinosaures ressuscités du film Le Monde perdu de 1925, se mouvant selon la même technique d’animation « cousue main », image par image. Après avoir résisté à la charge d’un farouche brontosaure, ils combattent un gluant stégosaure surgi d’un marais fumant aux allures du Loch Ness. Le simien anthropophage est, quant à lui, fort occupé à protéger sa belle contre les attaques de sauriens rampants et volants qu’il broie et déchiquète sans pitié à coup de mâchoire. Capable de déraciner un arbre ou de défoncer une porte de rempart, sa force se décuple face aux humains. Croqués vivants, écrasés dans la boue, jetés au fond d’un gouffre infesté d’araignées, ces derniers sont réduits à de misérables Lilliputiens.
Et pourtant, sous cette carcasse recouverte de peau de lapin (qui s’étiole parfois), il y a un cœur blessé. Ce brun ténébreux fait montre d’extrême délicatesse envers sa belle. Outre sa dimension fantastique, King Kong est empreint d’une charge érotique qui culmine lorsque le gorille humanoïde lui ôte ses habits de satin un à un, tout en reniflant ses gros doigts. On voit littéralement ce cœur saigner dans la dernière scène de la tour, où l’on distingue Cooper lui-même en train de mitrailler ce King déchu –éloquente métaphore du créateur détruisant sa créature. Selon Denham, « ce ne sont pas les avions qui l’ont tué, c’est la beauté ». Je dirais tristement que ce sont plutôt les tenants d’un capitalisme sauvage et éhonté. Il n’y a vraiment pas de quoi se frapper le torse avec les poings !
Quoi qu’il en soit, vous pouvez toujours adopter un gorille, il en existe de toutes tailles. Moins astreignant, revoyez ce film –mon chat en a miaulé de plaisir – et donnez-vous la chair de poule en vous procurant cette épouvantable affiche !
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