Les Tigres Volants (David Miller, 1942) đ«đ·

Quel drĂŽle dâoiseau tombĂ© du ciel, embrase la nuit de cette merveilleuse affiche ? A voir ses dents acĂ©rĂ©es et son regard de tueur, on dirait un requin fondant sur sa proie, au milieu dâĂ©tranges crĂ©atures phosphorescentes peuplant les profondeurs abyssales. Mais le spectacle se joue dans lâair : cette apparente Ă©closion dâune anĂ©mone de mer est bel et bien une explosion irradiant le ciel sans Ă©toile. Nous sommes en pleine DeuxiĂšme Guerre Mondiale et un avion de chasse, aussi rutilant que celui du cĂ©lĂšbre « Baron Rouge » (as des as de lâArmĂ©e de lâair allemande pendant la PremiĂšre Guerre) est en train de plonger en piquĂ©, Ă lâaffĂ»t de pilotes japonais. Pas vraiment discret vous lâadmettrez, en matiĂšre de camouflage mais volontairement conçu pour intimider lâennemi. Et puisque ce dernier, peuple maritime et insulaire, craignait supposĂ©ment les requins, on avait en plus affublĂ© ce nez dâavion dâune mĂąchoire de requin.Â
Le « Nose Art » fleurissait Ă cette Ă©poque, prĂ©cisĂ©ment sur le nez des avions de chasse afin de divertir ceux qui restaient au sol. Tigres, dragons, personnages de Disney â Hello Kitty nâexistait pas encore !, personnalisaient alors bon nombre de ces chasseurs. Certains pilotes sâenhardissaient Ă dĂ©corer ce museau phallique dâune emblĂ©matique pin-up, appelant au repos mĂ©ritĂ© du guerrier et accompagnant symboliquement celui-ci dans ses missions les plus risquĂ©es.Â
Forme dâart pour le moins efficace si lâon en juge par son pouvoir exterminateur sur lâavion japonais littĂ©ralement « dĂ©zingué » dans le coin gauche de lâaffiche, il fallait aussi Ă ces avions des pilotes hors pair. BaptisĂ©s « Tigres Volants » (et non « Requins Volants » !), cette escadrille de pilotes amĂ©ricains est composĂ©e dâ« hommes forts et courageux, affrontant la mort en plein vol » comme il est Ă©crit tout en haut, Ă la maniĂšre dâune Ă©pitaphe, en majuscules blanches sur fond noir. Il ne sâagit donc pas dâun Ă©niĂšme film de Kung Fu, comme le titre mâavait fait croire, mais dâun film de guerre, sorti en 1942 afin de glorifier le patriotisme et le sens du sacrifice de ces lĂ©gendaires dompteurs de Curtis P-40.Â
Les premiĂšres secondes du film nous dĂ©voilent le visage de Chiang Kai-Shek en filigrane derriĂšre un dĂ©filĂ© de caractĂšres chinois. Il sâagit de sa dĂ©claration rendant hommage au « courage et aux victoires » des bien nommĂ©s « Tigres Volants ». Alors que la Chine Ă©tait envahie par lâennemi japonais (qui la dĂ©passait en nombre), le GĂ©nĂ©ralissime fit appel Ă cette escadrille de mercenaires dits « volontaires » avant que lâArmĂ©e de lâair amĂ©ricaine ne vienne prendre officiellement le relais. Ces as de lâaviation sont bien souvent, dans lâhistoire et dans le film, de vĂ©ritables « tĂȘtes brĂ»lĂ©es », dont la cupiditĂ© et la soif dâexploits rendent leurs mĂ©thodes peu orthodoxes. Seul un cowboy sans peur et sans reproche, incarnĂ© ici par John Wayne, alias Jim Gordon (qui nâavait jamais fait la guerre !) est capable dâen assurer le commandement.Â
Dâautres combats cependant, menĂ©s sur terre, complexifient sa mission. Car, sous sa carapace dâinvincible hĂ©ros, il y a un cĆur dâhomme qui bat. Ses sentiments vont ĂȘtre mis Ă lâĂ©preuve par lâarrivĂ©e dâun Tigre aussi vaillant que sĂ©duisant â jâai nommĂ© lâacteur John Carroll qui va, vous lâaurez devinĂ©, tenter de lui ravir sa belle (Anna Lee), infirmiĂšre modĂšle de profession. Pour couronner le tout, cet intrus causera indirectement la mort dâun homme (Hap dans le film, qui avait dĂ©sobĂ©i aux ordres en sâenvolant une fois de trop), en invitant cette derniĂšre Ă un rendez-vous galant. « JâespĂšre que vous aurez passĂ© un bon moment », commentera Capt Gordon, car « Hap a payĂ© lâaddition ». Sera-t-il pardonnĂ© par le magnanime Capitaine ? Amour, amitiĂ©, trahison, courage, lĂąchetĂ© et loyautĂ©, tissent la trame de la petite histoire, mettant Ă jour les forces et faiblesses de ces « hĂ©ros ». Les Tigres Volants ne se limite donc pas au simple film de guerre.Â
Il se teinte mĂȘme dâhumour parfois, quand les blagues au sol fusent et rĂ©ussissent Ă faire remonter le moral des troupes. On retiendra le rire du restaurateur chinois qui, hilare, fait passer des plats chinois pour des spĂ©cialitĂ©s amĂ©ricaines. Ou la rĂ©ponse du Capitaine Gordon Ă son mĂ©canicien qui sâinquiĂšte des trous dans le fuselage de son avion : « des termites ! ».Â
Quid des Japonais ? Sans tomber dans le manichĂ©isme, le film les reprĂ©sente comme de courageux mais cruels soldats (capables de tirer sur un parachutiste en plein vol !). Leurs visages en gros plans sont impitoyablement montrĂ©s Ă©claboussĂ©s de sang Ă chaque tir de combat, un sang dâautant glaçant quâil paraĂźt noir (Ă cause du noir et blanc). Ćil pour Ćil, dent pour dent, les Tigres Volants leur font payer les massacres commis sur les familles et la horde dâorphelins qui sâensuit. Loin de me rĂ©jouir de ces scĂšnes peu ragoutantes, jâai apprĂ©ciĂ© les acrobaties aĂ©riennes de ces rois de la voltige, sans pour autant mâinscrire Ă un baptĂȘme de lâair ! Â
Sâil existe dâautres endroits et moyens « dâatteindre le septiĂšme ciel », je vous conseille nĂ©anmoins vivement lâachat de cette affiche qui vous fera, Ă coup sĂ»r, rugir de plaisir !
Metteur en scĂšne :Â David Miller
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