Le Monde du Silence (Jacques-Yves Cousteau et Louis Malle, 1956) đ«đ·

Qui nâa jamais rĂȘvĂ© dâĂ©voluer librement, affranchi des lois de la pesanteur, au milieu de crĂ©atures silencieuses, aussi fascinantes quâinquiĂ©tantes?Â
Rien quâĂ regarder lâaffiche, je sens dĂ©jĂ mon pouls ralentir, le corps et lâesprit apaisĂ©s par son bleu outremer qui rĂ©duit Ă nĂ©ant le bruit et la fureur du monde extĂ©rieur. Dans le silence ouatĂ© des abysses, un plongeur attelĂ© Ă une camĂ©ra sous-marine ouvre la danse, suivi de son escorte muette dâhommes-grenouilles. Le temps de mettre les palmes (et dâaccrocher son affiche!), on a vite fait dâĂȘtre happĂ© par lâivresse des profondeurs!)
En 1956, lâintrĂ©pide commandant Cousteau permettait au grand public de dĂ©couvrir, pour la premiĂšre fois, ces profondeurs vertigineuses. Il rĂ©alisait ainsi un des premiers documentaires ocĂ©anographiques qui se vit doublement couronnĂ© dâune Palme dâor (sans mauvais jeu de motâŠ) et dâun Oscar.Â
AccompagnĂ© du jeune rĂ©alisateur Louis Malle (cinĂ©aste de la Nouvelle Vague) et de son Ă©quipe dâhommes-grenouilles â sans oublier la star sous-marine « Jojo le MĂ©rou » !, Cousteau nous livre les secrets de fonds marins alors inaccessibles. A bord de La Calypso, (navire-laboratoire aussi insĂ©parable de son Capitaine que la nymphe Ă©ponyme), il sillonne et sonde toutes les mers âjusquâĂ moins 75m, de la MĂ©diterranĂ©e Ă lâOcĂ©an Indien en passant par le Golfe Persique et la Mer Rouge (assortie Ă son iconique bonnet!). Â
Munis du fameux « dĂ©tendeur » (scaphandre autonome co-inventĂ© par Cousteau), les plongeurs ne sont plus reliĂ©s Ă la surface et vont titiller librement les poissons. TrĂšs jeune encore, Ă lâĂ©poque oĂč je me gavais de dessins animĂ©s de Disney, jâavais portĂ© un regard amusĂ© sur certaines scĂšnes comme celle de lâaffiche oĂč lâon voit un plongeur sâagripper Ă la carapace dâune tortue. Je comprendrai, bien plus tard, que cette pauvre crĂ©ature Ă©tait en rĂ©alitĂ© Ă bout de souffle. Ma sensibilitĂ© Ă©cologique sera Ă©galement mis Ă mal par la cueillette sauvage de corail ou le massacre de requins venus achever un bĂ©bĂ© cachalot accidentellement blessé⊠TaxĂ© par un critique de documentaire « naĂŻvement dĂ©gueulasse », il est cependant important de resituer le film dans le contexte historique des annĂ©es cinquante, oĂč la nature Ă©tait davantage perçue comme une manne de ressources inĂ©puisables quâun Ă©cosystĂšme fragile.Â
Je me garderai donc de juger, prĂ©fĂ©rant conserver ce regard dâenfant naĂŻvement Ă©merveillĂ©. Du Commandant, ce hĂ©ros malgrĂ© lui, je retiendrai lâimage dâun aventurier explorateur qui sâintĂ©ressa, Ă la fin de sa vie, aux questions Ă©cologiques, convaincu que « la mer, le grand unificateur, est le seul espoir de lâhomme ».Â
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