Une Aventure de Buffalo Bill (Cecil B. DeMille, 1936) đ«đ·

« Lever de soleil, terre dâhommes blancs. Coucher de soleil, terre dâIndiens. » Ces deux « Visages PĂąles » ne semblent pas avoir compris la loi des « Peaux-Rouges » en se tenant du mauvais cĂŽtĂ©, baignĂ©s dans la lumiĂšre orangĂ©e du couchant. SituĂ© dans la mythique pĂ©riode du lĂ©gendaire Buffalo Bill, ce western de 1936 nous embarque Ă bride abattue dans une fantastique chevauchĂ©e Ă travers les Grandes Plaines.
Le titre en italien, La Conquista del West, prend lui-mĂȘme possession du territoire en Ă©talant ses lettres jaunes sur leurs collines infestĂ©es dâIndiens brandissant des flĂšches vengeresses. Cette soif dâexpansion rappelle le gĂ©nĂ©rique dâouverture oĂč lâon voit le texte se dĂ©rouler Ă lâhorizontale (Ă la maniĂšre de celui de La Guerre des Ă©toiles), fuyant vers un horizon prometteur de terres non conquises.Â
Cette « conquĂȘte » ne sâest pas faite sans rĂ©sistance comme lâillustre le Cheyenne de lâaffiche. ParĂ© de son traditionnel costume dâIndien (bonnet de plumes, bracelets brodĂ©s de perles, pagne en cuir et carquois en bandouliĂšre), il vient de dĂ©terrer la hache de guerre. Sauf que dans le film, les Indiens sauf aussi armĂ©s de fusils vendus par des hommes dâaffaires peu scrupuleux (comme Charles Bickford, alias Lattimer, qui joue souvent les gros durs) dĂ©sirant tirer profit du restant dâarmes de la guerre de SĂ©cession. Les deux clans sont pour une fois Ă Ă©galitĂ©, contrairement Ă dâautres westerns oĂč les Indiens perdent au change face Ă des hommes armĂ©s et sont mĂ©thodiquement massacrĂ©s. Le film ne nous Ă©pargne certes pas de violence dans ces scĂšnes de combats aux extĂ©rieurs grandioses oĂč excelle Cecil B. De Mille, connu pour ses films Ă©piques bibliques (comme Les Dix Commandements). Ayant aussi peu dâĂ©gards pour ses cascadeurs que pour ses chevaux, il aura quand mĂȘme, Ă sa dĂ©charge, toujours pris soin de vĂ©rifier si les armes Ă©taient chargĂ©es Ă blanc, Ă©vitant le rĂ©cent accident de tir dramatique dâAlec Baldwin sur le tournage du western Rust. Les (fausses !) balles fusent des deux cĂŽtĂ©s, les montures affolĂ©es hennissent et se cabrent, les cavaliers chutent et se fracassent.Â
Venu prĂȘter main forte aux soldats du GĂ©nĂ©ral Custer, un certain Wild Bill Hickok illustre ses talents de fine gĂąchette en tirant efficacement de ses deux Colts Ă la fois. On admire Ă©videmment Gary Cooper qui ne perd jamais une occasion de pratiquer le tir (outre la pĂȘche, lâĂ©quitation, les femmes et la taxidermie !), comme il le dit lui-mĂȘme : « Jâaime bien de temps en temps tourner dans un western, câest toujours une occasion pour moi de manier la gĂąchette ». Il est aussi fort au couteau (un gros, un Ă©norme) qui tient lieu dâĂ©conome pour Ă©plucher une pomme ou de flĂ©chette, prenant pour cible un chapeau. Au dĂ©but du film, dans lâeffervescence des quais de Saint Louis grouillant de pionniers, il sâexerce au martinet, sous les yeux Ă©bahis dâun gamin, dĂ©cochant alors une pierre sur lâarriĂšre train de⊠Buffalo Bill en personne ! Ce dernier (interprĂ©tĂ© par James Ellison) nâest autre que son ami, fraĂźchement mariĂ© et dĂ©cidĂ© Ă se caser en ouvrant un hĂŽtel. Rien Ă voir avec les aventures que nous promet le titre français, le film se focalise sur son comparse Hickok. Venu Ă la rescousse de sa dulcinĂ©e kidnappĂ©e, le vĂ©ritable hĂ©ros de ce film manque cependant de finir rĂŽti dans le camp des Indiens. Il mourra lors dâune partie de poker, alors quâil est en train de perdre, avec en main deux paires dâas et de huit noirs (combinaison aujourdâhui surnommĂ©e «la main de lâhomme mort »). TuĂ© lĂąchement dâune balle dans le dos par un des acolytes du vendeur dâarmes, il rĂ©sumera sa triste fin par cette rĂ©plique : « lâhomme est destinĂ© Ă perdre, tĂŽt ou tard ».Â
Mais il ne meurt pas quâentourĂ©s dâennemis. La sulfureuse Calamity Jane lâembrasse amoureusement une derniĂšre fois. Jean Arthur interprĂšte Ă merveille cette icĂŽne incontournable du Far West, aussi habile Ă manier le lasso quâĂ profĂ©rer des insanitĂ©s, un vrai garçon manqué ! Sâil nâavait portĂ© son portrait en mĂ©daillon dans sa montre Ă gousset, on se serait demandĂ© si Hickok avait un cĆur. Celui qui essuyait, du revers de sa manche, chacun de ses baisers, ne peut plus lui refuser ce dernier. Sur lâaffiche, il a lâair de lâaimer. Dans la vraie vie, elle sera enterrĂ©e auprĂšs de lui.Â
Difficile de discerner la vĂ©ritĂ© des rumeurs et de lâaffabulation. Je prĂ©fĂšre retenir la version romantique qui se dĂ©gage de cette affiche aux parfums de lĂ©gende. Vous pouvez la contempler depuis votre canapĂ© en mĂ©ditant sur cette citation de Carlos ZanĂłn : « la rĂ©alité a dĂ©passĂ© la fiction. Ensuite, c'est la fiction qui a dĂ©passĂ© la rĂ©alité et, Ă partir de lĂ , tout n'est devenu qu'une copie d'une copie dont on a oubliĂ© l'original. »
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