West Side Story (Robert Wise et Jerome Robbins, 1961) đ«đ·
Jâai toujours Ă©tĂ© amusĂ©e par les footeux du canapĂ©, en survĂȘtement devant la tĂ©lé⊠Câest exactement ce que jâaurais dĂ» porter quand jâai revu le cultissime film musical West Side Story adaptĂ© de la non moins cĂ©lĂšbre comĂ©die musicale de Broadway, ne mâattendant pas Ă tant dâĂ©nergie dĂ©pensĂ©e sur un Ă©cran. Ses deux heures trente de cabrioles, sauts, roulades et autres pirouettes sâenchaĂźnant tambour battant sur la musique haletante de Leonard Bernstein mâont laissĂ©e littĂ©ralement « à bout de souffle », pour rendre hommage Ă Belmondo qui aurait bien escaladĂ© quatre Ă quatre ces escaliers de secours emblĂ©matiques de lâarchitecture new-yorkaise !Â
Fort de cette dĂ©bordante vitalitĂ©, le West Side Story de 1961 nâa pas pris une ride et pourtant, soixante ans plus tard, Spielberg a entrepris de le rajeunir une fois encore avec son adaptation prometteuse au cinĂ©ma. Providentiel bain de jouvence Ă lâen croire, qui nous fera oublier les longs mois de vie recluse liĂ©e au Covid. Si en effet, pour reprendre Shakespeare, «Le monde entier est une scĂšne » oĂč «hommes et femmes, tous, nây sont que des acteurs », comment dĂšs lors, envisager une vie sans spectacle ?
Câest justement celle, tragique, de deux jeunes amants qui est magnifiquement mise en scĂšne dans cette version chantĂ©e et dansĂ©e de RomĂ©o et Juliette situĂ©e dans le Upper West Side de New-York. Les escaliers en fer forgĂ© dĂ©licatement stylisĂ©s en zigzags sur lâaffiche sont tout aussi romantiques que le fameux balcon. Tony (un Jet repenti) et Maria (sĆur dâun Shark) sây dĂ©clarent leur flamme dans lâĂ©mouvant duo Tonight, exacerbĂ© par leurs arabesques nuptiales. En-dessous, dans la grisaille des briques et du bitume, deux bandes rivales se dĂ©chirent : les Jets et les Sharks issus respectivement de lâimmigration juive-polonaise et portoricaine. Le quartier leur appartient : ils rebaptisent ses rues en signant les murs du nom de leur tribu. Si seulement ils avaient pu peindre ensemble le pochoir noir gĂ©ant du West Side Story soutenant lâescalier ! Comme dans toute tragĂ©die malheureusement, la rĂ©conciliation ne sera possible que dans la mortâŠ
Celle-ci est annoncĂ©e dĂšs les premiĂšres minutes du film par un sifflement de trois notes annonciatrices de mauvais coups. Le film se passerait presque de dialogues, tellement la musique est Ă©loquente. MĂȘlant tour Ă tour jazz, mambo, musique classique et hĂ©braĂŻque, lâhistoire se trame au fil de ses morceaux exubĂ©rants. Lâorchestre se fait parfois piano pour mieux entendre les paroles de Stephen Sondheim qui dĂ©noncent notamment, dans America, la sĂ©grĂ©gation et remettent en question le rĂȘve amĂ©ricain. La musique fait place au silence une seule fois, dans le monologue parlĂ© de Maria. Mais sans les notes, la gĂȘne sâinstalle, rendant plus poignante encore sa douleur dâavoir perdu et son frĂšre, et son amant. Jâai Ă©prouvĂ© le mĂȘme malaise quand le film sâest terminĂ©, trouvant muettes les personnes qui ne chantaient pas, comblant le vide en entonnant des bribes de refrains planant encore autour de moi. « Tonight, the world is full of light⊠»
Mais le spectacle ne serait pas « total » sans lâincroyable chorĂ©graphie de Robbins qui transfigure chaque geste et chaque mouvement. LâĂ©chauffement se fait au tout dĂ©but du film par des claquements de doigts Ă lâunisson. Les danseurs en auront besoin pour assurer sans rĂ©pit les scĂšnes dâintimidation, menace, vengeance, ou sĂ©duction. On se demande combien de prises ont Ă©tĂ© nĂ©cessaires pour quâune scĂšne de combat par exemple, semble naturelle et soit synchrone avec la musique aux rythmes complexes. Tout comme la musique, la danse constitue une ligne narrative visuelle.  Â
Les acteurs jouent, chantent et dansent donc Ă merveille âsauf Nathalie Wood incarnant Maria, qui est doublĂ©e. On retiendra les envolĂ©es de Rita Moreno, la seule actrice dâorigine hispanique Ă jouer le rĂŽle de la portoricaine Anita (contrairement aux autres acteurs membres des Sharks), roulant aussi bien les « r » que son amie Maria. Soixante ans aprĂšs, cette grande dame tiendra le magasin de Doc, sorte de Q.G. des bandes rivales, dans la toute nouvelle adaptation. Parviendra-t-elle mieux que lui Ă leur inspirer la paix ? Â
Vous le saurez en allant voir le West Side Story de Spielberg prĂ©vu sur les Ă©crans le 8 dĂ©cembre en France et le 10 aux Etats-Unis. Son affiche sobre en noir et blanc rivalise avec celle de Joseph Caroff (qui tient de loin ma prĂ©fĂ©rence !), Ă©pousant davantage lâesprit de lâĂ©poque et dont le pictogramme dâun couple de danseurs symbolise Ă©lĂ©gamment la lĂ©gĂšretĂ© et lâallĂ©gresse quâil nous tarde de retrouver dans la vraie vie.
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