Courrier de Chine (Ray Enright, 1936) đ«đ·
On se souvient tous de cette « drĂŽle de petite voix » demandant Ă un aviateur, tombĂ© en panne dans le dĂ©sert :Â
- Sâil vous plaĂźtâŠdessine-moi un mouton !
 Comme il nây arrivait pas (prĂ©occupĂ© davantage par ses problĂšmes mĂ©caniques que de vĂ©ritĂ© artistique !), il finit par dessiner une vulgaire caisse oĂč dormait le mouton⊠Câest un peu ce que fit Luigi Martinati quand on lui demanda de rĂ©aliser cette affiche, laissant libre cours Ă son imagination quant Ă la vraisemblance historique.
A voir ce gros avion vert olive dĂ©chirant le ciel rougeoyant de fumĂ©es et de flammes, on croirait Ă la peinture dâun film de guerre. Historiquement parlant, lâaffiche pourrait se situer bien dans les annĂ©es troubles du « Massacre de Shanghaï » (1927) oĂč des hommes maculĂ©s de sang, torse nu et crĂąne nattĂ©, tiennent tĂȘte Ă leurs ennemis armĂ©s et coiffĂ©s de chapeaux en bambou. A moins quâelle ne se rĂ©fĂšre Ă la toute fin de la « Longue Marche » oĂč lâArmĂ©e Rouge, Ă bout de force, rĂ©siste encore au Kuomintang. Le titre italien du film, Ali Sulla Cina (littĂ©ralement « Ailes sur la Chine ») est Ă©crit en police sinisĂ©e blanche sur des banderoles bleues, Ă la maniĂšre de slogans politiques. Mais les ailes de cet avion ne survoleront, dans le film, que des territoires relativement en paix â et principalement des ocĂ©ans. Dans Courrier de Chine, il est bien question dâavions mais vous ne trouvez aucune goutte de sang.
A la limite dâun film publicitaire pour la fameuse compagnie Pan Am, le film de Ray Enright retrace lâhistoire de ses hydravions Ă coque (ou « China Clipper ») qui inaugurĂšrent, en 1935, le premier service postal aĂ©rien transpacifique. PhilatĂ©listes, Ă vos Ă©crans ! Combien dâentre vous conservent encore religieusement les lettres ou cartes postales venues de lâautre cĂŽtĂ© de lâocĂ©an, estampillĂ©es en travers dâun magique « par avion » ? Suis-je encore la seule, quand je monte Ă bord, Ă choisir le cĂŽtĂ© hublot afin de cĂŽtoyer les nues et mâabandonner au dĂ©chiffrage de paysages jamais foulĂ©s ? Comme jâaime ces atterrissages rĂ©ussis oĂč lâon applaudit encore le pilote ! Mais comment continuer Ă rĂȘver aujourdâhui quand on sait quâĂ chaque seconde, un avion dĂ©colle et un autre atterrit ? Dans la pĂ©riode de lâentre-deux-guerres, lâaviation fascine. Les vols relĂšvent souvent dâune Ă©popĂ©e et les pilotes (qui ont, pour beaucoup, combattu pendant la PremiĂšre Guerre) sâapparentent Ă de vĂ©ritables hĂ©ros. On suit avec aviditĂ© les exploits de BlĂ©riot, Mermoz, St ExupĂ©ry (qui ne faisait pas que dessiner des moutons !) et bien sĂ»r Lindbergh rĂ©alisant en solitaire et sans escale, la premiĂšre traversĂ©e de lâAtlantique en 1927.
Le film commence par le retour en fanfare de ce dernier Ă New York, au milieu des clameurs de la foule. Parmi elle, un autre pilote, Dave Logan, tout aussi euphorique dâavoir retrouvĂ© sa femme Jean (la pĂ©tillante Beverly Roberts pendue au cou du charismatique Pat OâBrien) et non moins fou, prĂ©pare lui aussi une nouvelle traversĂ©e. TaxĂ© de doux rĂȘveur et de sympathique visionnaire, il ne renonce pas Ă son ambition de relier Key West en Floride Ă La Havane. Dad est un des seuls Ă croire en lui et gribouille sur un coin de nappe un croquis de lâavion postal qui y parviendra la mĂȘme annĂ©e. Câest lâinventeur du « China Clipper » (en hommage aux Ă©lĂ©gants clippers dâantan qui empruntaient la route du thĂ© et du coton). Ce « bateau flottant » offre lâavantage de pouvoir se poser nâimporte oĂč sur lâeau, sans besoin dâaĂ©roport. Un autre casse-cou, Hap (le jeune Humphrey Bogart) rejoint alors lâaventure, coĂ»te que coĂ»te malgrĂ© la rĂ©ponse peu rassurante de Dave Ă sa question :Â
- Quâest-ce que je dois faire si lâavion perd ses ailes ?
- Tu prendras le train, idiot !
Plus tard licenciĂ©, Hap prendra sa revanche sur Dave en le gratifiant dâun magnifique direct. De la part aussi de toute lâĂ©quipe surmenĂ©e (et de sa femme injustement malmenĂ©e ?) qui devait subir en plus, ses colĂšres et invectives, corollaire de ce succĂšs grandissant. Dad en mourra, dans lâhistoire et littĂ©ralement sur le tournage. Fort de cette premiĂšre victoire, Dave poursuit son rĂȘve en Ă©largissant la boucle Ă lâAmĂ©rique latine. Je suis heureuse dâavoir enfin dĂ©collĂ© et jâadmire les paysages survolĂ©s, du fleuve Amazone Ă la CordillĂšre des Andes, en passant par le port de Buenos Aires et celui de Santiago. Les unes de journaux sâemparent de ses conquĂȘtes mais Dave nâa pas lâintention « dâarrĂȘter les roues du ProgrĂšs ».Â
La tension est Ă son comble lorsquâil sâagit de relier San Francisco Ă Macao. Les trente derniĂšres minutes du film se passent entre terre et ciel dans un va et vient dâappels radios (qui deviendront les paroles lancinantes dâune chanson, Zilch de The Monkeys), « Alameda calling China Clipper/China Clipper calling Alameda ». Le « bateau flottant » a un peu de mal Ă soulever sa panse au dĂ©collage, lâobligeant Ă voler dangereusement sous le pont de Bay Bridge, ce que Ray Enright a (volontairement ?) omis de filmer. Il se pose ensuite sans problĂšme dâĂźle en Ăźle (HawaĂŻ, Midway, West Island, Wake et Guam) jusquâĂ devoir affronter un typhon Ă Manille. Câest la course contre la montre et Hap aux commandes parviendra, coĂ»te que coĂ»te Ă rejoindre Macao. Il nâoubliera pas la carte postale en arrivant, encore tout tremblant : « Cher Dave, jâai passĂ© une journĂ©e formidable. Dommage que tu nâaies pas Ă©tĂ© lĂ âŠÂ ». Fallait-il Ă Dave cet ultime exploit pour grandir ?Â
Combien de rĂȘves des plus fous ont-ils Ă©tĂ© imaginĂ©s par de grands enfants ? Nâoubliez pas que « Toutes les grandes personnes ont dâabord Ă©tĂ© des enfants, mais peu dâentres elles sâen souviennent ». Retrouvez alors la part dâenfant qui est en vous et laissez-vous aller Ă vos rĂȘves dâaviateur en achetant cette affiche. Saint ExupĂ©ry lâaurait lui aussi sans doute apprĂ©ciĂ©eâŠ
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