L’Eté Sans Fin (Bruce Brown, 1965) 🇫🇷

The Endless Summer | www.vintoz.com

September 12, 2021

Trois silhouettes masculines se découpent en ombres chinoises dans la lumière rasante du soleil couchant. Ils baignent dans les couleurs chaudes d’un ciel d’été rouge-orangé qui verra bientôt son astre solaire englouti dans les tréfonds du royaume de Neptune. Mués par un mystérieux appel qui vient du large, ils savent que c’est le moment ou jamais d’attraper la vague parfaite. Combien de temps auront-ils attendu, l’œil aux aguets à déchiffrer cet horizon ? Peu importe, pour ces surfeurs-voyageurs, « ailleurs est un mot plus beau que demain ». 

La composition de l’affiche en lignes superposées horizontales imite ces stries infinies de vagues qui happent le regard vers  l’inconnu. Le mariage de trois couleurs estivales – ombres noires et lumière blanche du soleil qui teinte le ciel en orangé, renvoie à la devise minimaliste du « sea, surf and sun » des surfeurs invétérés. C’est un sport de « glisse » et non de « frappe » ; pieds nus, léger, on se fraye un chemin dans la douceur du sable, sans rien forcer. Cette sublime affiche est non seulement une invitation au voyage, vers de lointains ailleurs mais aussi à l’intérieur de soi. 

Le titre, The Endless Summer, dont les lettres elles-mêmes semblent s’étirer sans fin, nous livre la recette du bonheur. Vous déprimez car, inexorablement, les jours raccourcissent, les feuillent jaunissent et l’air fraîchit ? Vous déplorez la fin de l’été en vous résignant à l’idée que « toutes les bonnes choses ont une fin » ?  Faux ! Il existe une manière de faire durer le plaisir : c’est de prolonger l’été. En écoutant les Beach Boys toute l’année ? En bloquant ses radiateurs à 25°C ? Non ! « Avec assez de temps et d’argent, vous pourrez suivre l’été sans fin », nous explique bonnement le réalisateur Bruce Brown. Son accent californien, tellement rassurant, réussirait à nous faire acheter une machine à remonter le temps… Pour s’affranchir du mauvais temps et partir à l’assaut, toute l’année, de la vague parfaite, il suffit en effet de franchir l’équateur. Ce que font alors les deux protagonistes du documentaire, Robert August, le brun (nom prédestiné pour un perpétuel surfeur aoutien !) et Michael Hynson, le blond. Quand certains étaient envoyés bombarder le Nord-Vietnam, ces derniers partaient, la même année, dénicher des spots de glisse aux quatre coins du monde… Bruce Brown s’est donc abstenu d’aller filmer en Asie. Depuis les côtes californiennes dont les eaux commençaient à refroidir, l’équipe s’embarque alors pour un long périple le long des côtes d’Afrique, d’Australie, de Nouvelle Zélande, de Tahiti et d’Hawaï. Pour le plaisir de nos yeux, nous rapportant des images d’une réelle « beauté hypnotique » comme l’écrit le N.Y. Times. 

Brown filme les vagues, évidemment, à l’époque où les caméras go-pros n’existaient pas. Des petites et des grosses, comme celle de Polynésie (la ravageuse « Teahupoo » ou « montagne de crânes » en tahitien) s’écrasant sur un massif corallien peu profond ou l’énorme du Banzai Pipeline à Hawaï où les pompiers et ambulances font le guet sur la plage. Mais c’est une moyenne qui tient ici la vedette, la mythique « vague parfaite », la Saint Graal de tous les surfeurs –une interminable déferlante de 45 secondes qu’il filme amoureusement au Cap Saint Francis (Afrique du Sud). On ne se lasse pas cependant et la réverbération planante des guitares électriques du groupe The Sandals entretient parfaitement notre illusion d’avoir quitté la terre ferme –sans aucune autre substance que les images obsédantes d’écume et de houle. 

La voix off se fait didactique lorsque Brown nous apprend à distinguer les différentes figures qui permettent cette osmose avec la vague. En bonne élève, j’ai regardé comment passer la barre, se redresser sur sa planche, changer de direction, se maintenir au creux de la vague…et apprendre à chuter avec ces démonstrations de « take-off », élégants « hang ten » en pas croisés, spectaculaires « tube » et vertigineux « wipe-out » réalisés avec brio par les plus grands surfeurs de l’époque, Fred Hemmings, Miki Dora et Phil Edwards notamment.

La caméra s’apparente à celle de Flaherty lorsqu’il filme, à Accra, la réaction des habitants face à l’intrusion de ces deux hommes blancs chevauchant une planche au beau milieu de leurs pirogues. Qui aurait cru ce jour-là que leur journée de pêche se termine en cours de surf ?  Nos voyageurs n’ont cependant pas envie de s’éterniser à Dakar, accueillis par des jets de pierres lancés par des enfants un peu trop curieux… Ils se retrouvent ensuite en plein été (au mois de novembre !) en passant l’équateur. Depuis le Cap de Bonne Espérance, ils sont pris en stop par un sympathique attrapeur de cobras qui leur fait découvrir aussi la faune plus avenantes des impalas, girafes, zèbres et élans en remontant la côte de l’océan indien. Si ce voyage est émaillé de belles rencontres, ils auront soin d’éviter les « hommes en costumes gris » qui apprécient également les spots de surf (et les surfeurs !) à Durban et en Australie, à Perth. En Nouvelle Zélande, la pêche à la truite palliera l’absence de vagues – ils y passeront Noël en bermuda. 

Le voyage se termine mais vous pouvez, à votre tour, prolonger votre été en vous procurant cette affiche éminemment artistique. Elle vous coûtera moins cher qu’un tour du monde et vous permettra tout autant, en changeant d’atmosphère, de changer d’hémisphère !

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